La présence de l’Islam en Europe:

 

Peut-elle devenir un affluent d’une civilisation européenne en constant renouvellement ?

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 


Tous droits réservés

 

 

 

Dépôt légal : 2008MO2115

ISBN : 9981-893-27-7

 

 

 

1ère édition

Ramadan 1429H – Septembre 2008

 

 

 

Imprimerie OMNIA

Tél. : 037 72 48 39 – Fax : 037 20 04 27

                                                - RABAT -                       

 

 

 

 


Abbés Jirari

 

 

 

 

 

 

 

La Présence de l’Islam en Europe :

peut-elle devenir un affluent d’une civilisation

européenne en constant renouvellement ?

 

 

 

 

 

 

Publications Annadi AL JIRARI

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Introduction

 

 

Certains européens estiment que la présence islamique dans leurs pays crée de nombreux problèmes, notamment sociaux, culturels et identitaires. Il va sans dire que les raisons objectives qui causent cette perception négative exigent une révision de certaines conditions et delà leur amélioration.

Néanmoins, et en plus de tout ce que la participation des musulmans offre dans différents domaines en Europe, cette présence constitue un aspect positif qui est rarement mentionné et qui mérite d’être étudié en tant que facteur d’influence dans une civilisation européenne en développement et renouvellement continus. Tel est l’objectif de cette brève étude.

L’important feedback engendré par sa publication, en trois langues, dans la revue «L’Islam aujourd’hui» de l’Organisation Islamique pour l’Education les Sciences et la Culture (ISESCO)(*), m’a incité à la republier dans ce livret afin de lui permettre une plus grande circulation parmi les lecteurs concernés par ce thème.

Que Dieu nous guide vers le bon chemin.

 

Rabat, le 10 Ramadan, 1429 AH

Correspondant au 11 septembre 2008

Abbes Jirari

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

La présence islamique en Europe, liée à la réalité de L’Islam et des musulmans dans ce continent, revêt une importance capitale, eu égard aux différents problèmes que cette présence, avec tout ce qu’elle a de positif et bénéfique et de négatif et néfaste, soulève. Notre interrogation, à savoir comment cette présence peut-elle constituer un des affluents  nourrissant la civilisation européenne, est l’une de ces questions.

Nul doute que la réponse à une telle question et à toutes celles qui peuvent surgir, réside dans l’examen de la présence de l’Islam en Europe, en  elle-même, et en tant qu’impactes qu’elle peut avoir sur une civilisation évoluée et en perpétuel renouvellement de ces pays européens. C’est bien là l’objectif que je me suis assigné  dans cette présentation.

Cet examen exige de prendre en compte un ensemble de facteurs essentiels et effectifs. L’un de ces facteurs cruciaux est le nombre des musulmans qui constituent aujourd’hui cette présence et qui atteint une vingtaine de millions établis dans les différents pays européens, notamment en France où ils constituent environ 7% de la population globale. Parmi ces 7%, un million et demi est d’origine marocaine. C’est ce même nombre que l’on trouve dans les autres pays européens.

Cette présence a connu son apogée ces dernières années. Elle fut constituée, durant le siècle dernier, de militaires qui ont largement contribué aux différentes campagnes militaires pour la libération de la France  ainsi que  d’ouvriers qui ont bâti, à la force de leurs bras, les usines et fait avancer les industries dans les domaines où le travail était pénible, accomplissant les besognes que les français et les autres européens répugnaient à faire.

Puis cette présence a subi, en règle générale, une évolution grâce aux compétences intellectuelles, créatives, médicales et techniques spécialisées qui ont rejoint les universités, les instituts et les hôpitaux européens et qui ont contribué à donner une autre image bien distincte des musulmans. Ce qui a d’ailleurs permis, ces derniers temps, à leur confier des postes politiques à un très  haut niveau de responsabilité. Des statistiques récentes des Nations Unies, ainsi que des études réalisées par les arabes et par les non arabes ont montré que le taux des personnes qualifiées atteint le tiers de l’ensemble des immigrés.

Vouloir immigrer pour résider et travailler dans le pays d’accueil soulève, néanmoins, de nombreux problèmes d’ordre sécuritaire et social. L’un de ces problèmes, et non des moindres, est celui des moyens utilisés par ceux qui veulent réaliser cet objectif, ceux que l’on nomme «les immigrés clandestins, ou encore les immigrés en situation illégale» dont le nombre dépasse 5 millions, selon le rapport du Conseil de l’Europe. Sans oublier que certains parmi eux sont accusés de perpétrer des actes de violence qui aboutissent à un malaise et à des troubles.

Le monde dans sa globalité, qu’il s’agisse de pays développés ou sous-développés, souffre aujourd’hui de ce malaise et de ces troubles du fait même de l’accélération des événements que connaît la vie moderne et ses différents conflits et particulièrement en ce qui concerne le phénomène du terrorisme. Ce phénomène semble avoir fait perdre aux dirigeants leur sang froid et leur contrôle. En effet, certains parmi eux, pour ne pas dire la plupart, accusent à tort et à travers les musulmans qu’ils dépeignent comme vivant en dehors de leur temps, refusant, voire incapables, de s’y intégrer. La vérité est que les musulmans, en partant de leur réalité quotidienne et de ce que leur religion, leur histoire et leurs valeurs leur dictent, aspirent à s’impliquer de façon positive dans la construction du monde et de contribuer efficacement à ériger sa civilisation  évoluée.

Aussi, ces musulmans sont conscients de la nécessité de s’allier à cette civilisation commune qui a fleuri sur les rives de la méditerranée. Ces rives qui constituent le berceau de la civilisation humaine et l’un des composantes essentielles de cette civilisation. Une civilisation qui s’est édifiée tout au long de l’histoire, en puisant dans la civilisation grecque, romaine, puis arabo-musulmane et enfin européenne. Les musulmans sont convaincus de la nécessité, pour ces pays méditerranéens, de travailler de concert pour réduire le fossé qui les sépare et atténuer les différences et les disparités qui les éloignent les un des autres, dans la reconnaissance et le respect mutuels et en apportant de l’aide à celui qui en a besoin pour qu’il puisse renforcer ses capacités et être capable de suivre le train de l’évolution et du progrès dans un esprit de tolérance.

Le concept de tolérance dans l’acception exacte que l’Islam lui a fixé de temps immémorial et que les nouvelles conventions ont confirmé, ne signifie nullement que la partie faible doit faire des concessions, ou se soumettre au  plus fort, encore moins renoncer lâchement et honteusement à ses spécificités et à ce qui fait sa différence. Bien au contraire, la tolérance signifie trouver les facteurs qui unissent pour remplacer les différences et pouvoir coexister à l’ombre même de cette différence, notamment la différence culturelle. A cet égard, force est de souligner également que la différence est en soi une valeur que l’Islam a mise en exergue comme faisant partie des lois divines qui régissent l’univers.

Si, par ailleurs, la différence culturelle influe sur les autres aspects  politique, économique et sociale de la vie, il convient de prendre en compte l’impact de cette influence dans l’étude des données au niveau global, notamment la mondialisation et tout l’équilibre qu’elle requiert. C’est ainsi que l’on peut promouvoir les intérêts communs et réaliser les objectifs d’un lendemain meilleur.

Il convient de noter, à ce propos, que la mondialisation ne signifie pas et ne doit pas signifier, un nouveau concept de la citoyenneté qui consiste à ramener l’ensemble des nations à une seule, c’est-à-dire à un village planétaire, comme on se plaît à l’appeler aujourd’hui. C’est d’ailleurs ce que tous ceux qui s’attachent à leur propre identité refusent, à commencer par les européens eux-mêmes, qui ont fait valoir et continuent à faire valoir l’exception culturelle, en passant par les musulmans qui sont attachés à leur identité propre qui émane de nombreux fondements, notamment la religion qui en constitue l’un des piliers les plus importants. Même si les européens ne semblent pas, à priori, prendre en compte cette composante religieuse, elle demeure, néanmoins, présente en force dans leur pensée, et peut-être avec un réel fanatisme chez certains. Mais l’attachement des musulmans à leur religion, et de façon plus général à leur identité et ce qu’elle leur confère comme spécificité, ne veut nullement dire qu’ils doivent tourner le dos à l’évolution du monde moderne avec ses contraintes et ses exigences.

Aussi et étant donné l’enracinement du facteur religieux dans les esprits, et l’impossibilité d’y renoncer ou de l’échanger, le dialogue pour la coexistence pacifique doit se faire loin de la croyance et de ce qui s’y attache en termes de pratiques religieuses. Il doit s’installer dans le cadre des valeurs et des comportements. Alors seulement, il devient possible d’éviter tout choc ou confrontation et toute surenchère qui en découlent et qui ne tardent pas à se transformer en violence, marquant encore plus les divisions qui peuvent exister à l’intérieur d’une même religion. C’est une réalité dont la solution requiert un dialogue interne islamo-musulman et chrétieno-chrétien pour dépasser tout confessionnalisme et tout communautarisme qui divisent. Pour y arriver, il faut que les deux parties revoient leur situation interne afin de trouver des solutions et dépasser tout ce qui les divise à savoir toutes les oppositions et les contradictions. Cette différence-ci, n’a rien à voir avec la différence dont il est question dans cette communication qui, elle, est une manifestation très positive et très louable.

Nous estimons que dans ce dialogue interne, les musulmans devraient accorder de l’importance à la compréhension des équations qui restent encore insolubles: comment peut-on concilier entre des dualités du type patrimoine vs contemporanéité et tradition vs modernisme ? et pourquoi les mouvements réformistes  n’ont-ils pas réussi à faire avancer les sociétés musulmanes vers le progrès et le développement ? Pour résoudre ces équations, il est nécessaire de se munir d’une  nouvelle pensée, d’adopter une approche évoluée et surtout de faire preuve de beaucoup de courage dans la critique et l’expression des opinions.

Certes, le dialogue, dans son acception la plus juste, peut prendre des formes différentes qui vont du simple entretien, à la discussion, au débat et à la négociation. Le dialogue qui prôné par le Saint Coran doit être utilisé en recourant à la sagesse et au bon exemple, notamment quand les interlocuteurs sont des gens du Livre. Le dialogue s’attache à défendre la vérité et à répondre à ceux qui refusent la vérité ou  s’y opposent. Aussi faut-il veiller à s’en tenir aux aspects positifs sans verser dans la confrontation et l’antagonisme. C’est en cela que le dialogue vise, à travers les échanges des points de vues relatives à des vérités données, en toute liberté, de rapprocher les parties qui ont des opinions divergentes, sans querelle ni fanatisme.

Si, parmi les musulmans, certains individus fanatiques et belliqueux ou encore des groupes  intransigeants et rigoristes s’opposent à leur communauté, cela ne met pas l’Islam en cause. Le christianisme n’a-t-il pas connu lui-même des divisions et des extrémismes à l’instar de ce qui existe entre les protestants, les catholiques et les orthodoxes. Ces scissions prennent d’ailleurs aujourd’hui des formes plus graves, notamment quelques groupes évangéligues qui tentent, mûs par l’omnipotence, la violence, la tyrannie et forts de leur alliance étrange avec le sionisme, de diffuser la terreur et le terrorisme au niveau international, comme en témoignent des événements dont souffrent les musulmans et même les non musulmans dans différents endroits de la planète.

Il convient de souligner que parler de l’Europe ne veut pas dire parler d’un modèle de civilisation et de culture unique sans différence entre les pays européens. Bien au contraire, il faut garder à l’esprit toutes ces différences lorsqu’il est question de dialogue entre l’Islam et le Christianisme.  On peut vraisemblablement dire la même chose des sociétés musulmanes qui ne sont pas  toutes identiques. Ceci est d’autant plus palpable lorsqu’il s’agit de  représenter telle ou telle partie ou de désigner celui qui a le droit de parler au nom de tous.

Aussi, faut-il faire la différence entre les musulmans pacifiques qui vivent leur islam dans la modération, la tolérance et la sagesse et cette catégorie qui a pris la voie du fanatisme qui a abouti chez certains d’entre eux à la violence. C’est là un phénomène devenu universel, alimenté et renforcé par des facteurs objectifs, tel l’analphabétisme, la pauvreté, l’ignorance, l’exclusion et la marginalisation ainsi que l’antagonisme des points de vue et des attitudes, et qui dépassent largement les limites de cet exposé. Les premiers signes avant coureurs de ce phénomène chez les musulmans sont apparus à la première période islamique par l’intermédiaire des Kharijite qui avaient pris position contre l’état à cette époque.

Ce phénomène ne concerne pas les musulmans uniquement. Il existe, comme nous venons de le signaler, dans d’autres religions et dans d’autres idéologies. Aussi reconnaître l’abus chez certains musulmans ne doit pas être un prétexte pour généraliser et considérer les musulmans, l’islam et même le Coran comme violents. S’il est absurde de vouloir dialoguer au sujet des croyances, car un tel dialogue est impossible étant donné le caractère très personnel qui existe entre ceux qui embrassent ces croyances et leur Créateur, cela devra nous inciter à considérer avec beaucoup de prudence et de vigilance ceux qui appellent à l’unité des religions sous prétexte qu’elles appartiennent à la doctrine d’Abraham, se contentant de fonder leur propos sur le  principe de la croyance  en un Seul Dieu, en le jugement dernier et les bonnes actions. Ils visent en réalité à détruire ces religions, plus particulièrement l’Islam, qui est le sceau de ces religions aussi bien sur le plan de la foi que celui de la jurisprudence et des pratiques.

D’un autre point de vue, l’histoire musulmane, depuis l’époque du prophète, révèle de nombreuses situations  de dialogue entre les musulmans et les autres, dans les milieux officiels et au sein des cercles académiques, voire dans les mosquées. Il n’est pas nécessaire d’illustrer cet aspect, tant les exemples sont nombreux et connus et tant cette pratique est constante et non interrompue, même si elle a connu, lors de la période d’occupation et à la lumière des défis de l’époque actuelle,quelques altérations. N’est-il pas étrange néanmoins de persister à parler de la nécessité de la communication et du besoin de connaissance mutuelle à un moment de la mondialisation où il n’existe plus de barrière ni sur le plan de la communication ni sur celui du savoir?

Le dialogue a pris, tout au long du siècle dernier, malgré quelques entraves, des formes multiples, dont les conférences, les colloques qui se sont tenus avec pour visée de rapprocher ceux qui embrassent les religions monothéistes, notamment entre l’Islam et le christianisme. On peut rappeler à titre d’exemple,  tout ce qui a été accompli dans les années soixante du siècle dernier et qui a abouti à l’élaboration du document «Nour Al Alam» (lumière du monde) dans une tentative de mettre en exergue les valeurs humaines prônées par les deux religions. C’est un document qui a été publié à l’époque du Pape Paul VI, suite à de nombreuses rencontres entre des responsables des deux parties. L’absence d’une approche juste et positive, qui repose sur les valeurs constitue indéniablement l’une des raisons essentielles de l’échec de plusieurs de ces rencontres qui traitaient de questions liées à la foi, une foi qui tient d’un  domaine où aucune des parties n’est prête à renoncer à ses croyances, comme nous l’avons signalé plus haut.

Ce type de préoccupation vaine peut avoir pour résultat de ne pas traiter les problèmes de l’époque et les maux dont souffre l’humanité telle la pauvreté, l’ignorance,la maladie et les autres fléaux générés par le sous-développement   l’injustice, la tyrannie, l’agressivité et la violence qui en découlent. Bien plus encore, ce type de préoccupation peut éloigner de ce qui  dans les deux religions peut aider à résoudre ces problèmes ou du moins à les clarifier afin d’y trouver la solution adéquate  et œuvrer à promouvoir la solidarité, la complémentarité et la justice. Ce qui peut rassembler autour des problèmes et défis du monde contemporain, éviter les  dissensions, faire face à l’extrémisme et au terrorisme et faire régner la sécurité, la stabilité et la paix dans le monde. Et ce plutôt que de vouloir dominer ce monde, le façonner et le formater politiquement, économiquement et culturellement, à l’instar de ce que les Etats-Unis d’Amérique tentent d’imposer aujourd’hui par la force. Cette vérité montre clairement que cette attitude contre l’Islam et les musulmans ne vise pas en premier lieu la destruction de cette religion, vu sa force et sa grande diffusion dans le monde et l’impossibilité de voir ceux qui ont embrassé cette religion l’abandonner, mais elle tente essentiellement de les dominer et de leur imposer une direction qui puissent les affaiblir et de les maintenir dans une position de soumission qui sert leurs ennemis.

Tout espoir et toute aspiration seront voués à l’échec si les musulmans ne disposent pas d’une présence qui soit positive, une présence qui constitue un affluent et un enrichissement  de la  nouvelle civilisation mondiale. Ceci impose aux deux parties des conditions qui les engagent à œuvrer pour améliorer la situation des sociétés musulmanes afin d’aider à leur sécurité et à leur stabilité, autrement dit d’engager un vrai développement humain et matériel. On ne peut atteindre cet objectif sans oeuvrer sérieusement à résoudre les problèmes politiques, économiques et sociaux dont pâtissent ces pays, et ce en supprimant les raisons même de cette hostilité à l’égard des musulmans, notamment en Irak, au Soudan, en Somalie et ailleurs dans les pays qui font face à de graves défis qui les menacent de division et empêchent tout progrès. Il faut ainsi se concentrer sur la question palestinienne qui constitue une plaie dans le corps arabo-musulman, qui ne peut guérir qu’en rendant son dû à qui de droit et en reconnaissant l’existence d’un Etat palestinien libre et indépendant dont la capitale est
Al-Qods ainsi que le retour des réfugiés  dans leur pays.

Une telle action, si elle s’accompagne d’une discussion franche qui aboutit à une réconciliation, peut créer un environnement propice à la coopération souhaitée, à travers la rectification des faits historiques. Cette rectification devra alors porter notamment sur les événements dont les musulmans ont souffert lors des Croisades, de l’Inquisition ou pendant la colonisation. Elle devra s’accompagner d’excuses pour en effacer les traces et supprimer les facteurs de haine et de ressentiment. Sans parler des actions hostiles  qui continuent à être perpétrées, telle la profanation du livre sacré et l’appel à le modifier, la dénaturation de l’image du Prophète (PSL), ou encore les déclarations de certains responsables qui prétendent que les valeurs de l’Islam sont inférieures aux valeurs de l’Occident. Ces déclarations ont atteint leur paroxysme l’année dernière à travers les propos tenus par sa sainteté le Pape Benoît XVI et qui étaient provocants et agressifs vis-à-vis de l’Islam, des musulmans et de la civilisation et de la culture qu’ils ont édifiées.

Peut-être qu’en purifiant l’atmosphère  de toutes ces taches qui l’altèrent,  on peut rétablir la confiance entre les musulmans et les Autres, sur la base de la reconnaissance mutuelle, l’acceptation de l’Autre malgré ses différences, ses spécificités, les fondements de son identité, de sa personnalité religieuse et culturelle ; bien loin de toute arrogance ou de désir de dominer l’Autre et en faisant preuve de tolérance et de coexistence sur la base de ce qui unit et rapproche et en évitant tout ce qui sépare  dans un esprit neuf issu d’un sentiment de sérénité dont l’importance  pour des relations de coopération n’est plus à démontrer.

Pour qu’une telle coopération positive se réalise, il est absolument nécessaire d’insister sur le facteur des valeurs humaines qui rejoignent les valeurs divines mis en avant par l’Islam et par les autres religions et seules capables d’apporter le rapprochement tellement souhaité. Il est également nécessaire de s’imprégner de ce que ces valeurs apportent en termes d’orientations rationnelles et scientifiques que la pensée moderne souligne davantage,  pour leur dimension universelle et pour l’évolution de la pensée et le progrès industriel et commercial qu’elles apportent. Sans oublier de noter que ces orientations n’ont jamais fait défaut aux musulmans lorsqu’ils édifiaient les fondements de leur civilisation et de leur culture à une époque où ils étaient prospères.

Il est également indispensable de considérer la situation à travers une vision  des relations entre les musulmans et les autres qui se situe dans le long terme afin que ces relations puissent être  justes et afin d’éviter la destruction de l’humanité par l’intermédiaire de la diffusion des sentiments d’amitié, de fraternité qui mènent vers la tolérance et la cœxistence pacifique, loin des sentiments de haine,  de ressentiment et de violence.

Cet objectif ne pourra se réaliser sans l’annulation des barrières qui entravent l’accès des musulmans aux espaces de production. Car cet accès leur permettra de profiter du progrès et d’accompagner les nouvelles évolutions du monde moderne. Aussi, ils ne se limiteront plus à la simple consommation de cette production dont tout est fait pour que les clés restent aux mains de l’Occident, et ce en dépit des grandes ressources dont leurs pays disposent, de leurs situations géostratégiques importantes et de leurs compétences qui sont obligées d’immigrer en Europe pour y travailler, participant ainsi activement à l’édification du progrès et du développement de ces pays.

Ce projet ne pourra se réaliser que si l’on donne la chance à ces compétences d’accéder aux différents espaces de production et si l’on encourage ce courant modéré qui est manifeste chez de nombreux savants et penseurs musulmans et qui vise à montrer le vrai visage de l’Islam et de faire entendre sa voix dans le monde musulman et en Occident qui a si besoin d’avoir une connaissance juste de l’Islam et qui y aspire pour atténuer les tensions qui existent.

Il convient de noter à ce propos l’engouement pour l’étude de l’Islam et ses principes non seulement parmi le public et les intellectuels en général mais aussi parmi les personnalités de l’Eglise qui, par ignorance, nous ont si longtemps pris à parti.

Ce désir d’apprendre plus sur l’Islam est perceptible même chez certains dirigeants politiques européens et américains qui ont compris l’enjeu de l’Islam et l’importance de la présence musulmane dans tous les domaines. Mais malgré cette prise de conscience, ils ne cachent pas leur préoccupation face aux actes de terrorisme dont ils accusent à tort l’Islam et les musulmans qui, eux mêmes, ont besoin d’une connaissance juste de la religion de l’Autre.

Permettez que je souligne ici, avec beaucoup de regret que face à l’engouement de nombreux européens et américains pour l’Islam et leur conversion à cette religion, le Pape du Vatican, les responsables de l’Eglise et même certains dirigeants politiques et intellectuels expriment de plus en plus leur peur de voir l’Islam se propager en Occident. Ils  mettent en garde contre ce phénomène, à telle enseigne que certaines parties ont appelé à interdire l’Islam chez elles et à punir ceux qui l’embrassent, oubliant qu’il s’agit d’une des religions monothéistes et qu’elle est leur sceau reconnu.

Telle est la situation, alors même que partout, en Occident comme en Orient, des voix s’élèvent pour appeler au dialogue, y compris le dialogue entre les religions. Un dialogue fondé sur des règles objectives et fixes faisant l’objet d’un accord qui aura pour mission de faire comprendre la vérité concernant ces religions, œuvrer pour leur rapprochement loin des polémiques concernant des questions de foi et de croyance. Sachant que, comme je l’ai déjà signalé, la foi ne concerne que l’individu et son Créateur qui est seul capable de le juger et que la différence dans la foi relève de la volonté divine. Un dialogue où chacune des parties s’obstient de porter des jugements préconçus et de se convaincre que seule sa religion détient la vérité absolue et que tous ceux qui embrassent une autre religion sont obligatoirement des ennemis. Cela exige de rejeter l’idée fausse qui prétend que la civilisation de l’Occident et sa culture sont supérieures et ont pu créer des valeurs nouvelles qui n’étaient pas connues auparavant et de voir en l’Autre un simple consommateur n’ayant contribué en rien à cette innovation ni au patrimoine de l’humanité.

Si les civilisations s’édifient et évoluent du fait même de leurs différentes composantes aussi petites qu’elles soient, la  nouvelle civilisation européenne qui connaît une grande évolution et une supériorité dans de nombreux domaines, ne peut continuer à se développer et à progresser en ignorant le rôle joué, par le passé, par la civilisation musulmane dans son édification ou ignorer ce que les musulmans lui apportent aujourd’hui dans une tentative de les présenter selon un stéréotype qui ne fait qu’accentuer cette ignorance.

Toute attitude qui tend à ignorer ce rôle ou à le limiter, n’est qu’une autre façon d’ignorer la richesse que la diversité et le pluralisme constituent si les occasions d’échanger en toute liberté, solidarité et tolérance se présentent, permettant par là même de resserrer les liens et renforcer les relations.

Nul n’est besoin de réaffirmer que l’histoire de ces rapports ainsi que la civilisation et la culture qu’ils ont crées, sont à même -si nous leur accordons l’intérêt qu’ils méritent- de nous rendre confiance en nous-mêmes et en nos capacités afin de nous permettre de renforcer ce cadre civilisationnel et culturel commun à travers une nouvelle vision, des concepts plus évolués et une finalité plus objective. Certes, ce renforcement passera également par une réelle prise en considération des valeurs que nous partageons sans idées préconçues sur tout ce qui est positif dans notre histoire, et en prenant en compte la réalité de la mondialisation dans ce qu’elle a de positif et qui ne s’opposent aucunement aux spécificités de nos identités propres. Car ce sont des identités que nous -musulmans et européens- défendons et auxquelles nous restons très attachés. Nous avons aussi des aspirations en termes de démocratie pluraliste et de respect des droits de l’homme, dans la perspective de multiplier les occasions pour consolider la coopération fructueuse entre nous.

Les opportunités sont nombreuses et multiples pour consolider cette coopération capable de faire face aux défis, de faire régner la paix, de promouvoir les droits  pour que l’homme puisse s’épanouir  dans son humanité et s’élever à la condition que Dieu a voulu pour les fils d’Adam et l’inciter à plus de communication.

La communication qui consiste à s’ouvrir sur l’Autre, à interagir, et à coopérer avec lui, dans un esprit de solidarité et de tolérance, loin de toute confrontation ou conflit, est le fondement même de toute civilisation.

La civilisation est donc humaine par nature, elle est de ce fait une et non plurielle, même si, par ailleurs, les phases de son édification, et les cycles de son processus se multiplient et s’enrichissent, tout au long des époques et des générations, grâce aux innovations, à la créativité et à la production propres à chaque époque ainsi qu’aux valeurs et principes qui les animent et au patrimoine qu’ils lèguent aux générations futures et qui leur permet d’améliorer la situation de l’individu et de la communauté, en partant d’une découverte  fondée sur la reconnaissance de l’Autre, la coopération et l’échange mutuel.

Pour réaliser tout ce qui vient d’être mentionné, partant de la connaissance des religions et en passant par ce qui découle de cette connaissance souhaitée, il convient que le dialogue entre les civilisations et les cultures demeure ouvert et permanent et qu’il constitue l’opportunité de mettre en exergue les avis opposés des savants, des penseurs, des économistes, des politiques, des représentants de la société civile  et des académiciens, sur tous les aspects de ce dialogue. Tout ceci s’avérera toutefois insuffisant pour atteindre le but escompté si les parties concernées n’adoptent pas une bonne conduite qui pour les musulmans reviendrait à montrer une image pure et transparente de l’Islam. C’est là une responsabilité qui leur incombe à tous et notamment à ceux qui vivent dans les pays européens. Or, ces pays constituent dorénavant, pour eux, un espace de communication et d’échange avec leurs habitants d’origine.

Nul doute que la présence de l’Islam dans ces pays a dépassé le concept de minorité et est devenu un phénomène qui ne peut être appréhendé que dans le cadre de la citoyenneté, si l’on considère que les musulmans dans ces pays se répartissent sur trois générations ou plus et qu’il constituent une composante et une partie intégrante dont on  ne peut occulter le rôle dans l’enrichissement et le développement de la civilisation et de la culture. Reconnaître cette vérité, l’accepter et en dynamiser les aspects positifs permet de trouver une issue à de nombreux problèmes. Mais cela exige de trouver une solution à cette équation difficile qui consiste à demander au musulman vivant en Europe d’être un citoyen dans une société laïque à laquelle il doit fidélité et d’être en même temps un musulman pratiquant sa religion en toute liberté, individuellement ou dans le cadre d’une collectivité en charge des affaires religieuses, et ce  en faisant preuve de beaucoup de discernement, de patience et de flexibilité.

L’une des priorités dans ce type de traitement est de veiller à l’équilibre entre toutes les parties en tenant en compte de la nécessité qu’une confiance mutuelle règne et que les intérêts suprêmes du pays priment, sans pour autant ignorer les relations sociales dans ce qu’elles ont de bénéfique et de matériel. Chose que d’aucuns parmi ceux qui font preuve de sectarisme contre les immigrés, mettent en doute. Il convient à ce propos de ne pas oublier que la réalité des mariages mixtes et des générations successives montre bien qu’une  telle citoyenneté  est avérée et qu’elle est réalisée sur des bases saines malgré l’existence de quelques cas qui dénature cette réalité. Ces cas qui peuvent disparaître sinon se réduire si les tracasseries accompagnant l’obtention du visa et de la résidence pour les immigrés ou les candidats à l’immigration, sont allégées et s’il était facile aux immigrés de pratiquer leur religion en toute liberté, tout comme cela  est facile pour les européens qui s’installent de plus en plus, dans les pays musulmans en général et le Maroc en particulier, où ils ont le droit de devenir propriétaire et de partager largement la vie des citoyens. Certes, une telle liberté  en ce qui concerne les musulmans, exige d’être protégée de tout abus ou surenchère qui peuvent être le résultat de l’ignorance. Ce qui nécessite la poursuite des efforts pour enseigner la vraie religion et trouver des solutions aux problèmes qu’ils rencontrent dans leur pays d’accueil et qui les exposent à un fiqh d’un genre nouveau, pour ne pas dire très particulier, qui est souvent mentionné et qui porte même le nom du fiqh des minorités. Telle est la responsabilité qui incombe aux imams et savants musulmans, qui ont la mission d’encadrer les musulmans les pays non musulmans.

 



(*) N° 25 de l’année 2008 correspondant au 1429 AH.